Administration du système de santé : que restera-t-il de l’exercice libéral ?

🗓️ Publié le 25 juillet 2022

La Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) a partagé dans son rapport annuel « charges et produits » pour 2023 les enjeux des futures négociations conventionnelles des professions de santé pour améliorer l’accès aux soins.

La CNAM y propose notamment d’« améliorer l’organisation des soins de ville » en renforçant davantage le rôle pivot des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS).

Si la formulation peut sembler classique dans le contexte actuel, de nombreux éléments laissent pourtant craindre la transformation de cet outil d’exercice coordonné basé sur la volonté des professionnels de santé en une véritable « super structure administrée » effectrice de soins, c’est-à-dire en hôpital de ville/hors les murs.

Pour cela, les tutelles pourront se baser sur des outils déjà adaptés :

Si les CPTS émanent théoriquement de l’initiative des professionnels de santé de ville, elles sont avant tout pour les pouvoirs publics des équipes de projets, s’inscrivant dans une approche territoriale, populationnelle. Cela signifie que les membres de la CPTS acceptent de s’engager dans une réponse qui peut impliquer pour eux de prendre part à des actions ou d’accueillir des patients sortant de leur exercice et de leur patientèle habituels.

Par exemple, la compétence des CPTS les faisant participer « à la réponse aux crises sanitaires » renvoie en réalité à une formulation extrêmement large. Qu’entendre par « crise sanitaire » ? La réponse à une pandémie ? A une inondation ? A une intoxication à grande échelle ? Tout cela en même temps ?

L’article L. 1434-12-2 du code de la santé publique est par contre ici très clair et confère aux CPTS des missions de service public. Si nous nous attardons souvent sur la liste des missions qui découle de cet article, une attention particulière doit pourtant être apportée à cette notion même de « service public » car elle a de nombreuses conséquences juridiques comme l’obligation de continuité : le service public répond à un intérêt public et les usagers (patients) peuvent en exiger son fonctionnement continu.

Il convient toutefois de ne pas confondre continuité du service public et continuité des soins !

  • La continuité des soins renvoie, pour les IDEL qui ont accepté d’effectuer des soins, à leur obligation d’assurer ensuite la continuité des prises en charge de leurs patients.

  • La continuité du service public va bien plus loin. Combinée à l’approche populationnelle inhérente aux CPTS (voir ci-dessus), la continuité du service public pourrait ainsi par exemple permettre aux pouvoirs publics de réquisitionner, si nécessaire, des professionnels de santé engagés dans une CPTS pour prendre en charge des personnes qui ne sont habituellement pas dans leur patientèle.

Par leur financement (conventionnement ACI tripartite avec la CPAM et l’Agence Régionale de Santé), les CPTS voient leurs actions soumises au bon respect du Projet Régional de Santé (PRS) établi par l’ARS.

Surtout, la transformation des CPTS en offreur de soins semble déjà bien amorcée alors que leur objet social initial se limitait pourtant à l’organisation des soins :

  • La CNAM va ainsi jusqu’à prévoir de constituer, par l’intermédiaire des CPTS, des organisations territoriales de télémédecine gérant l’implantation de télécabines sur les territoires.

  • Un arrêté du 11 juillet 2022 vient quant à lui prévoir que, sous la surveillance des ARS, les protocoles de coopération censés faciliter l’exercice des IDEL n’auront une mise en œuvre simplifiée que pour celles et ceux qui exercent au sein d’un centre de santé, d’une MSP ou d’une CPTS.
    Bien loin de l’objectif de certains professionnels de santé libéraux de faire des CPTS un espace pour apprendre à mieux se connaître, les CPTS sont donc reléguées, au même titre que les centres de santé ou que les MSP, au rang d’offreurs de soins.

  • Au-delà, une instruction du 10 juillet 2022 vient prévoir la possibilité pour les CPTS, au titre de leur participation à des missions de service public, de facturer à l’Assurance Maladie et d’indemniser les professionnels de santé mettant en œuvre les protocoles de coopération.
    Les CPTS pourront ainsi fixer le montant des actes réalisés dans le cadre de ces protocoles.

Pourtant, cette transformation des CPTS en effectrices de soins/hôpital hors les murs, si elle venait à se concrétiser, va nécessiter des moyens humains importants au sein des CPTS. Face à cet enjeu, la CNAM indique dès à présent dans son rapport souhaiter « soutenir la constitution de groupements d’employeurs au niveau d’une CPTS et proposer des modèles innovants de portage salarial ». Que faut-il comprendre par-là ? Deux possibilités nous questionnent :

  • Soit les CPTS devront mettre en place en interne un groupement d’employeur avec toutes les contraintes administratives et salariales que cela implique.
    Dès lors, les professionnels de santé engagés activement dans la CPTS devront accorder un temps conséquent à la gestion de cette « entreprise ».

  • Soit les CPTS auront recourt à un groupement d’employeur extérieur, par exemple de niveau départemental ou régional.
    Elles pourront peut-être ainsi se décharger d’une partie des charges administratives, toutefois pas sans coût financier et sans risque de perte d’indépendance face à une structure extérieure que les professionnels de santé membres de la CPTS ne pourront pas toujours entièrement contrôler et, si besoin, contraindre.

Finalement, face aux constats dressés, nous terminerons par une question.

Que va devenir l’exercice libéral, la souplesse et l’indépendance qui en résultent, face aux volontés des tutelles d’administrer les structures d’exercice coordonné afin de combler certaines difficultés liées à la désertification médicale et à l’effondrement de l’hôpital ?