Crise du système de santé : ne nous trompons pas de … diagnostic

🗓️ Publié le 22 février 2023

Résumé :
La désertification médicale et plus encore la crise du système de santé dans son ensemble affectent au quotidien notre activité : difficultés pour obtenir des ordonnances, rupture dans les parcours de soins, charges administratives …
Dans ce contexte, fatigue, colère voire exaspération se conjuguent entraînant parfois des tensions entre professionnels de santé au détriment d’une prise en charge optimale des patients.
Toutefois, pour avancer, poser le bon diagnostic s’avère nécessaire.
L’URPS infirmiers Centre-Val de Loire vous propose par cet article un retour sur les causes profondes de la crise de notre système de santé tout en proposant des pistes d’évolutions reconnaissant pleinement les compétences des infirmiers libéraux dans un seul intérêt : la bonne prise en charge de nos patients.

Une crise profonde et ancienne du système de santé

Chacun en conviendra, le système de santé est malade, à bout de souffle … En crise.

Et ne nous y trompons pas, c’est une crise plus profonde des services publics qui est à l’œuvre (école, santé, justice …).

Dans le domaine de la santé, un constat est partagé : l’effondrement de l’hôpital public qui a débuté dans les années 2000 s’est mue en un effondrement global du système de santé.

Depuis 2004, la T2A et ses objectifs quantitatifs sont arrivés à l’hôpital, la gestion administrative et comptable des établissements de santé s’est accentuée puisqu’il convenait désormais de faire le plus d’actes possibles pour espérer avoir un financement décent de la structure. Cela a eu des conséquences très concrètes sur les professionnels de santé qui se sont retrouvés à faire plus avec moins. La perte de sens ressentie par ces professionnels a engagé une fuite des hôpitaux, la qualité de vie au travail s’est continuellement et durablement dégradée alimentant et accentuant par là-même la fuite des professionnels de santé dans un cercle vicieux.

En 2009, la loi HPST est plus largement venue faire entrer le système de santé dans une ère d’étatisation et d’administrativisation, c’est-à-dire qu’elle a renforcé le rôle de l’État et des personnels administratifs à l’hôpital. En 2016, la loi HPST trouvera son corolaire pour le système de ville avec la loi relative à la modernisation de notre système de santé notamment venue créer les ESP et les CPTS (depuis renforcée par de multiples « lois santé »).

Dans le même temps en ville, la désertification médicale s’est accélérée. Le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de malades chroniques ou encore le virage ambulatoire ont accru la pression qui s’exerce sur les professionnels de santé libéraux auxquels il a par ailleurs été demandé de compenser les difficultés vécues par l’hôpital.

Il résulte de tout cela des difficultés bien connues, car tristement quotidiennes, pour les IDEL :

  • Difficultés pour obtenir des ordonnances pour des patients âgés, dépendants et atteints de pathologies chroniques.
  • Ruptures dans les parcours de soins, par exemple en sortie d’hospitalisation.
  • Temps administratif (par exemple de facturation ou de coordination) de plus en plus souvent supérieur au temps pris pour réaliser le soin.
  • Temps administratif non rémunéré face à des cas complexes.
  • Course d’un domicile à l’autre sans « prendre le temps » avec nos patients (car nous ne l’avons pas) au détriment d’une des composantes majeures de notre profession : le prendre soin, le care

Patients, professionnels de santé, élus … Aujourd’hui, chacun convient que le système de santé est en crise tout en faisant face à un tournant majeur de son histoire.

Les récentes annonces du Président de la République et du ministre de la santé lors de leurs vœux respectifs aux soignants en ce début d’année ou encore la loi RIST en débat au Parlement ne seront pas suffisants et ne changeront en réalité rien de manière systémique.

Or, pendant ce temps, nous (professionnels de santé comme patients) souffrons.

Face à cette douleur, la fatigue, la colère voire l’exaspération l’emportent. Chacun s’arc-boute sur ses positions, cherche un ou des responsables (tensions médecins/IPA, infirmiers/pharmaciens …), pointe le désengagement de l’État tout en oubliant parfois de chercher la cause profonde de ce mal en ne se limitant ainsi pas à la cause la plus visible ou la plus immédiate.

Pour avancer, posons le bon diagnostic

      Première raison de la crise : un État toujours plus fort mais de moins en moins visible.

La crise du système de santé est indéniablement liée à une doctrine faisant court depuis plus de 20 ans : le New Public Management. Il résulte de cette doctrine une application des principes économiques et managériaux en réponse à des problématiques propres au secteur public.

Dès lors, tout doit devenir rentable. Pour cela, l’État a su procéder à de multiples changements :

  • Privatisations tous azimuts avec l’idée que le privé fonctionnerait mieux que le public (alors que le privé a prioritairement pour but de faire des profits) : regroupement des cabinets de biologie médicale au sein de structures détenues par des holdings financières ; augmentation de la part d’HAD relevant du secteur privé lucratif de 12% en 14 ans quand dans le même temps la part du secteur public diminue de 8% …
  • Déploiement d’une vision comptable et administrative des soins où un acte n’est qu’une donnée sur un tableur Excel et non un « moment » de prise en charge.
  • Concentration et regroupements des libéraux via l’exercice coordonné avec le déploiement de contraintes notamment financières : FAMI, dotation populationnelle …

Toutefois, ne nous trompons pas de diagnostic ! Si l’État n’a pas assumé ses responsabilités (désertification médicale …), il serait désastreux de penser qu’il s’est désengagé. Au contraire, dans l’ombre, au prisme d’une « territorialisation » souhaitée, il se renforce !

Nous l’avons dit, les lois HPST (2009) et de modernisation de notre système de santé (2016) marquent un tournant administratif et d’étatisation.

Par la territorialisation, l’État n’a pas décentralisé le pouvoir. Il en est resté le maître.

Soyons clairs, les ARS créées en 2009 sont des organismes déconcentrés (territorialisés), c’est-à-dire rattachés à l’État. Elles ne sont qu’une émanation de l’État en région afin d’appliquer la stratégie nationale de santé (article L. 1431-1 du code de la santé publique) à un échelon plus proche du terrain. Mais la ligne politique initiale est belle et bien fixée par l’État. Il en découle notamment que le projet régional de santé qui vise à déterminer les priorités des politiques de santé en région doit être conforme à la stratégie nationale de santé.

Il en est exactement de même pour les projets de santé (territorialisés) des structures d’exercice coordonné (ESP, MSP, CPTS …) ! En effet, même si cela n’est pas visible au premier abord, les structures d’exercice coordonné qui souhaitent obtenir des financements doivent avoir un projet de santé conforme au projet régional de santé (PRS, fixé par l’ARS) et doivent donc, indirectement, avoir un projet de santé conforme à la stratégie nationale de santé.

Ce renforcement de l’État se sent aujourd’hui plus que jamais concernant les contraintes qu’il essaye de déployer auprès des libéraux dans l’objectif de faire des économies et non d’améliorer les parcours de soins : obligation d’adhérer à une structure d’exercice coordonné pour bénéficier du FAMI, projet de mise en place d’une dotation populationnelle (ou contrat d’engagement territorial, peu importe le nom affiché) pour les médecins et bientôt d’autres …

      Deuxième raison de la crise : un cadre administratif toujours plus pesant.

La charge administrative est bien connue des IDEL :

  • Qui n’a jamais passé plus de temps à facturer un soin et à gérer les charges administratives associées qu’à réaliser l’acte auprès du patient ?
  • Qui n’a jamais renoncé à facturer un soin pour des considérations administratives ?

Ce temps administratif, peu valorisé et de plus en plus contraignant, est devenu une véritable charge mentale et temporelle pour les professionnels de santé.

Sous couvert de simplification et d’informatisation, l’État et l’Assurance Maladie ont opéré un transfert de charges administratives de leurs structures vers les professionnels de santé. Un exemple parmi de nombreux autres : le SCOR. Alors que l’Assurance Maladie gérait auparavant les ordonnances et les feuilles de soins, ce sont désormais les professionnels de santé qui doivent les scanner.

Plus encore, ces charges et contraintes administratives initialement limitées à l’intérieur de notre cabinet se sont vues exacerbées depuis 2016 avec l’apparition puis la mise en place des structures d’exercice coordonné (ESP, MSP, CPTS).

En effet, face à l’état du système de santé, l’État soutenu par de nombreux représentants de professionnels de santé a estimé qu’il fallait regrouper ces professionnels au sein de structures d’exercice coordonné. Or, ces structures répondent par leur principe même de fonctionnement à une logique administrée et contraignante du système libéral (voir notre article du 25 juillet 2022) : missions de service public, objectifs prédéterminés ou encore charge administrative par la multiplication des réunions auxquelles participer.

Alors que les IDEL ont déjà des tournées conséquentes dans laquelle la dimension du care s’efface petit à petit faute de temps et de moyens, la tendance actuelle vise à transformer les CPTS en offreurs de soins, c’est-à-dire en hôpital hors les murs, dont l’adhésion deviendrait à terme, si ce n’est obligatoire, une nécessité financière et de prise en charge. Très concrètement, les professionnels de santé qui refuseraient d’adhérer ne se verraient pas reconnus la possibilité de prendre en charge de manière optimale leurs patients pour une pure considération formelle et administrative : la non-adhésion à une structure d’exercice coordonné, même des plus factices !

Loin de pures fabulations, cette contrainte existe déjà pour de nombreux protocoles de coopération (voir notre article du 18 décembre 2022) et risque de s’accentuer avec la loi RIST concernant l’accès direct à certains paramédicaux.

Mais ces évolutions, l’État n’en est pas le seul responsable. Les professionnels de santé libéraux se sont, parfois malgré eux, auto-contraints.

En effet, là où de nombreux professionnels de santé de bonne volonté ont voulu voir dans l’exercice coordonné, de manière exclusive, une possibilité de mieux connaître les acteurs gravitant autour de leurs patients ou de leur territoire pour améliorer les parcours de soins, d’autres (qui connaissaient pourtant les limites administratives et contraignantes de l’exercice coordonné) ont fait le choix d’appuyer sur l’accélérateur en se disant qu’ils maitriseraient les futures évolutions avant que la machine ne s’emballe et ne mène à la situation actuelle.

Aujourd’hui, les contraintes administratives sont de plus en plus importantes et l’État s’appuie sur des outils mis en place par les libéraux (exercice coordonné notamment) pour en ajouter de nouvelles.

Plus que jamais, il apparaît nécessaire de poser le bon diagnostic afin d’apporter rapidement et efficacement les mesures correctives utiles.

Oui l’exercice coordonné doit permettre de faciliter la prise en charge des patients en permettant à des acteurs de se coordonner autour d’une patientèle ou d’un territoire commun.

Non il ne doit pas être médico-centré mais bien pluriprofessionnel en reconnaissant à leur juste valeur les compétences de chaque professionnel de santé.

Non il ne doit pas devenir un outil de contrainte et toute transformation même insidieuse en ce sens doit être rapidement et fermement rejetée.

Oui à la coordination, non à l’administration !

      Les patients ?

Qui, en tant que professionnel de santé, n’a jamais vu un patient renoncer à une prise en charge ou la décaler au point d’aggraver sa pathologie du fait de l’état du système de santé ?

Qui, car nous sommes également toutes et tous des patients, n’a jamais renoncé à une prise en charge ou rencontré des difficultés au détriment de sa pathologie du fait de l’état du système de santé ?

Et surtout, ces retards ou renoncements de soins ne deviennent-ils pas de plus en plus fréquents ?

Or, face à une situation compliquée, qui se dégrade de jour en jours … On finit par se tromper de combat.

Certains, parfois nous-mêmes il faut bien l’admettre, vont jusqu’à considérer que diverses difficultés avec nos patients n’incombent pas à l’état du système de santé ni à son ubérisation (par la multiplication de plateformes dévoyant la relation patient/professionnel) mais bel et bien aux patients directement :

  • A leur irresponsabilité de patients consommateurs de soins qui ne porteraient aucun intérêt aux professionnels de santé en face d’eux (alors que les patients subissent de plus en plus un parcours du combattant stressant et complexe avant de réussir à consulter).
  • A ces patients qui exigent, par exemple un test antigénique plutôt qu’un PCR ou encore tel vaccin contre le Covid-19 (alors que les mesures Covid n’ont eu de cesse d’être modifiées, parfois plusieurs fois au cours d’une même semaine, perdant ainsi patients et professionnels de santé).
  • A ces patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous (parfois car ils ont oublié le rendez-vous obtenu auprès de leur professionnel de santé il y a plusieurs semaines voire plusieurs mois).
  • A ces patients qui encombrent les urgences (faute de mieux et dans l’espoir de pouvoir accéder à un conseil médical même si cela nécessite d’attendre durant plusieurs heures dans un service surchargé et angoissant).

Et nous ? Quelle attention portons-nous à nos patients ? Ne diminue-t-elle pas ?

Si elle ne diminue pas, à quel prix et comment se fait-elle ? Cela ne se fait-il pas au détriment de notre propre situation, de notre propre santé ?

Que devient l’infirmier de famille, cet infirmier qui pouvait, au-delà de réaliser ses actes techniques tel une machine, prendre le temps avec le patient pour l’accompagner dans sa maladie, lui expliquer les différents aspects de sa prise en charge, assurer un soutien dans les moments difficiles ?

Si nous, infirmiers libéraux, souffrons de ne plus pouvoir exercer pleinement et dans les meilleures conditions notre art, il ne fait aucun doute que les patients en souffrent également, même indirectement.

Aussi, même s’il convient de ne pas rejeter toute forme de responsabilité des patients car certaines dérives existent, sont-ils pour autant le mal du système de santé ? Ne seraient-ils pas plutôt une malheureuse victime collatérale de plus ?

Bref, les dérives de certains patients sont-elles davantage liées à des considérations individuelles ou à une crise profonde et systémique de notre système de santé ?

Ne nous trompons pas de diagnostic !

Avancer ensemble au profit du patient

Le monde de la santé souffre tellement qu’il cherche désormais un responsable.

Certains médecins (la minorité la plus bruyante) ne semblent plus avoir de repère et de limite dans l’indignité. Ils s’acharnent sur des paramédicaux (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes …) qu’ils accusent de vouloir détruire la médecine libérale, faire de la médecine à deux (trois voire quatre) vitesses …

Or, s’acharner sur ces « paramédicaux », IDEL ou IPAL notamment, c’est oublier qu’ils ne sont pas les responsables mais les victimes d’un système de santé à bout de souffle et que cet acharnement, loin d’apporter des éléments constructifs, nuit à la coopération nécessaire entre professionnels de santé pour une bonne prise en charge des patients.

Face à l’ampleur de la crise que nous vivons, que le système de santé et de nombreux professionnels de santé vivent, le moment n’est-il pas venu de permettre à chacun d’exercer au mieux ses compétences ?

Le moment n’est-il pas venu de permettre aux infirmiers libéraux (IDEL et IPAL), non pas de « piquer » des compétences aux médecins mais, simplement, d’exploiter leurs propres compétences (rôle propre, expertise sur les plaies et cicatrisations, prévention …) sans contrainte administrative démesurée ?

Aujourd’hui, combien de fois nous retrouvons-nous bloqués pour de simples raisons administratives (absence d’ordonnance ou ordonnance non conforme à une NGAP de plus en plus complexe, actes gratuits du fait d’une NGAP non adaptée à l’expression pleine et entière de nos compétences, impossibilité de participer à un protocole de coopération voire bientôt de prendre un patient en accès direct avec la loi RIST car nous n’avons pas adhéré administrativement à une structure d’exercice coordonné …) ?

Ne pas se tromper de combat, c’est peut-être d’abord et avant tout être capable de poser le bon diagnostic sur les origines des difficultés du système de santé.

Poser le bon diagnostic, c’est œuvrer pour limiter au strict nécessaire l’étatisation et l’administrativisation du système de santé.

Poser le bon diagnostic, c’est ne pas s’acharner sur les professionnels de santé qui ne demandent qu’à pouvoir exercer pleinement leur art (et rien de plus) dans l’intérêt des patients.

L’URPS infirmiers s’est toujours opposée et s’opposera toujours à ce qu’il soit porté atteinte à ce qui fonde l’exercice libéral. Notre indépendance est notre force. La souplesse et la réactivité en sont ses conséquences.

Aujourd’hui, plus que jamais, posons collectivement le bon diagnostic.

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